El Harif : « Le Maroc est une démocrature »

Abdalla El Harif, secrétaire général du parti de gauche marocain, a visité Madrid la semaine dernière pour assister à un hommage à Abraham Serfaty, l’activiste marocain vétéran décédé en novembre.

Les conditions sociales qui ont déclenché des protestations en Tunisie, Égypte et dans d’autres pays nord-africains, sont les mêmes qu’au Maroc?

Je crois que ce qui arrive en Tunisie et en Egypte est dû à plusieurs choses qui affectent toute la région : une série de politiques de type néolibérale, suite à un programme de réajustement structurel du FMI, qui a conduit à l’appauvrissement des classes populaires et à des réductions de services publics. Cela a porter préjudice aux jeunes, en particulier. Nous avons vu la liquidation de l’enseignement, surtout l’enseignement universitaire. Les jeunes souffrent parce qu’ils ont très peu de possibilités d’emploi. Et ça c’est un problème général dans tous les pays du Maghreb et du Moyen Orient. Au début des années 1960, au Maroc a été créée une association de chômeurs diplômés de l’université pour protester contre un taux de chômage très haut parmi les jeunes qui affecte plus les licenciés que les travailleurs non-qualifiés. A Rabat, en ce moment il y a des manifestations presque tous les jours dans la rue. C’est un problème régional. La corruption, aussi. Aucun pays n’a une véritable démocratie. Et il y a le pillage des richesses par une classe dominante.

Si les conditions son les mêmes, peut-il arriver au Maroc la même chose qu’en Tunisie?

Pas nécessairement. Parce qu’il y a des nuances. En Tunisie, il y avait un régime de parti unique et une forte répression policière. C’est ce qu’on avait au Maroc jusqu’aux années 1990. Ah Maroc, nous avons eu plusieurs avancées démocratiques, même s’il convient de rappeler qu’elles ne sont pas irréversibles. Par exemple, il y a quelques années, nous avions une presse indépendante assez forte qui critiquait le pouvoir. Mais elle a été muselée dans les dernières années d’una façon indirecte, en utilisant l’argent, les procès, etc. Beaucoup de journaux ont été forcés à fermer. Mais, en général, il y a plus de libertés au Maroc qu’en Tunisie avant la révolution. Il y a le droit de manifester, droit de grève, sit-in (occuper des usines). Mais c’est tout. C’est-à-dire, nous avons le même appauvrissement, la même corruption, la même  malversation de biens publics, mais il y a des différences sur le plan politique.

Et cela, rend-t-il plus facile ou plus difficile qu’il y ait une mobilisation populaire comme la tunisienne?

Au Maroc, il va être un peu plus difficile d’arriver à un mouvement du genre que l’on a vu en Tunisie. En Tunisie, le régime avait réussi à créer un rejet unanime contre lui. Tout le monde était contre, même la bourgeoisie, parce que les familles de Ben Ali et de sa femme avait commencé à s’approprier de toute la richesses du pays. Nous avons un consortium, l’ONA, qui appartient au Roi et sa famille. Il est difficile de pronostiquer au Maroc : c’est une forme de démocratie formelle, même si elle n’est pas réelle. Il y a une grande colère contre le pouvoir et contre la misère, mais l’on ne peut pas prévoir le dénouement. Il y a des groupes d’activistes très actifs qui font pression en faveur de la démocratie. Moi-même, j’étais 17 ans en prison. Même si les choses vont un peu mieux, toute personne qui parle de châtier les violations contre les droits maintient un esprit de vengeance. Au Maroc, il y a des progrès, mais ce n’est pas une véritable démocratie ni une dictature : moi, je l’appellerais, une démocrature (dictasoft)

Retournons à la comparaison de la Tunisie avec le Maroc. Les plus grandes avancées démocratiques au Maroc font que le déclenchement d’une révolution n’ait pas de sens?

Il est difficile de répondre à cette question parce que ça dépend du système politique. Il y a eu beaucoup d’espoir avec le nouveau Roi. Mais, à la fin, il n’y a pas eu de progrès et le pouvoir est toujours despotique dans son essence, un pouvoir absolu. Le Roi décide de la politique général de l’Etat, l’armée, la sécurité, les institutions publiques. C’est-à-dire, que je suis pessimiste et je crois qu’au Maroc il faut une révolution. Qu’elle soit pacifique ou violente dépendra de l’intelligence des différentes composantes de l’Etat.

Les jeunes, vont-ils être inspirés par la Tunisie et l’Egypte?

Oui. Ces deux pays exercent une influence très importante. Dans la révolution tunisienne, les jeunes ont joué un rôle très important qui n’a pas été joué ni par les parties ni par les intégristes. C’était une révolution spontanée des jeunes. Ce sentiment existe au Maroc parmi les jeunes qui n’ont pas vécu la lutte pour l’indépendance. Je crois qu’il y a plus de corruption là-bas qu’en Tunisie, mais au Maroc elle est plus répandue.

Y aura-t-il des protestations par des réseaux sociaux, Facebook… ou à travers les partis traditionnels comme Voie Démocratique?

Par les deux canaux. Parce que nous avons certaines libertés. Nous n’avons pas à travailler dans la clandestinité. Mais nous sommes bloqués parce que nous n’avons pas accès aux grands médias ni le soutien de l’Etat comme d’autres partis. Nous avons beaucoup de problèmes pour convoquer un miting, une conférence. Nous n’arrivons pas au grand public. Mais un marocain qui s’informe seulement par la télévision, ne pourra jamais nous voir. malgré cela, nous sommes présent dans les luttes pour les droits, par exemple parmi ceux qui se battent pour un logement décent.

La Vanguardia.es, 07/02/2011

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