Khalil Hachimi Idrissi, le directeur du quotidien Aujourd’hui le Maroc, que les connaisseurs surnomment à juste titre Aujourd’hui le Makhzen, tellement sont évidentes ses accointances avec le ministère de l’intérieur, prend donc la place d’un autre enthousiasme du régime, Ali Bouzerda, l’ex-agencier devenu par la grâce d’hautes indulgences directeur d’agence.
Ce qui caractérise les deux hommes c’est que ce sont deux créatures de Fouad Ali El Himma. Ce qui nous amène à nous poser des questions sur les rumeurs quant à une supposée perte d’influence de « l’ami du roi ».
Khalil Hachimi Idrissi est un pur produit d’un journalisme musclé et virevoltant. Aujourd’hui, il est violemment contre vous ; demain, après d’inavouables conciliabules, il est résolument avec vous. C’est la marque de l’hebdomadaire Maroc Hebdo de Mohamed Selhami, où l’intéressé a fait ses premières armes. Les archives écrites et le net gardent heureusement encore les traces de ce journalisme de chantage qui n’est d’ailleurs pas sans risque.
Un jour, racontait en s’esclaffant le défunt ministre de l’intérieur Driss Basri, Maroc hebdo lança une sévère charge contre le conseiller royal André Azoulay. La semaine d’après, le directeur de cette publication, Selhami, et son rédacteur en chef, Hachimi, reçurent une convocation urgente du palais royal. Par on ne sait quelle conjecture, nos deux journalistes crurent que le souverain (Hassan II à l’époque) les avait convoqués pour les promouvoir. Ils prirent le chemin de Rabat habillés en jellaba et cape blanches, coiffés du traditionnel fez rouge et portant des babouches jaunes toutes neuves.
Après d’interminables heures d’attente, ils furent enfin reçus par … André Azoulay. Avant de les rabrouer rudement, ce dernier esquissa sûrement un léger sourire quand il les a vus pénétrer dans son bureau avec leurs ridicules accoutrements.
Depuis lors, il n’y a jamais eu de critique, de mot déplacé ou même d’insinuation concernant André Azoulay dans Maroc Hebdo. Par contre, il y a eu beaucoup de couvertures louangeuses sur ce conseiller royal.
A l’époque d’Hassan II, Khalil Hachimi était un fidèle parmi les fidèles de Basri, tout comme son mentor Mohamed Selhami, dont tout le monde se rappelle les conditions privilégiées dont il a bénéficié pour acheter, pour une bouchée de pain, une villa qui appartenait au parc immobilier de l’Etat dans un quartier huppé de Casablanca.
C’est pour cela que le brutal limogeage de l’ex bras droit d’Hassan II supposa pour les deux hommes la fin d’une époque et quelques maux de tête. Les deux journalistes étaient trop compromis avec l’ancien régime pour croire réellement avoir des chances de survie dans ce qu’on appelait alors « L’Ere nouvelle ».
Certains collaborateurs et sympathisants de Basri eurent la décence de se faire discrets. Pas Khalil Hachimi. Basri fut destitué de son poste le 9 novembre 1999. Quelques jours plus tard, ce journaliste virevoltant changeait, toute honte bue, de veste. Dans son Billet bleu paru dans Maroc hebdo du 12 novembre, qu’il intitula « Veste », il écrivit : « j’ai bien le droit moi aussi de retourner ma veste en toute quiétude ».
Et pour donner des gages de soumission au nouveau régime, l’homme qui se prosternait quelques jours auparavant devant Driss Basri devint l’un de ses grands persécuteurs, ne ratant aucune occasion pour s’en prendre à lui ou à sa famille..
Encore une fois, les bibliothèques, les archives et le net sont là pour connaître cette forme de journalisme…
Quelque temps plus tard, Hachimi quitta la chaumière de Selhami pour monter sa propre affaire. Ce fut Aujourd’hui le Maroc, un quotidien francophone adoubé par de puissants protecteurs financiers. Parmi eux, l’actuel ministre de l’agriculture, Aziz Akhenouch, propriétaire du groupe Afriquia et patron du groupe de presse Caractères, qui n’avait aucune envie de placer son argent dans un quotidien mais qui mains liées se retrouva en l’an 2000 actionnaire de référence dans la société éditrice d’Aujourd’hui le Maroc. Avec lui se retrouvèrent aussi deux autres pigeons forcés, Akwa Group et la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), un établissement public dont les statuts, pourtant, ne lui permettaient pas de spéculer avec l’argent des retraités dans une publication privée.
Le journal commença par imprimer 30 000 exemplaires par jour, mais ne tarda pas longtemps à se rendre compte qu’il n’avait pas sa place sur le marché. Il n’avait tout simplement pas de lecteurs. Déjà que l’autre journal du Makhzen, Le Matin du Sahara, tirait à peine son épingle du jeu grâce aux abonnements forcés de l’administration marocaine, fallait-il mettre sur le marché un Matin du Sahara bis ?
Avec 3 000 exemplaires vendus par jour l’affaire était entendue. Ce fut un retentissant échec qui donna lieu à une violente altercation financière entre Hachimi et Mohamed Berrada, le PDG de la SAPRESS, la société qui vendait le papier au nouveau quotidien et le distribuait. Berrada racontait à ses interlocuteurs que non seulement il perdait de l’argent dans cette aventure, mais qu’il n’avait pas de place pour stocker la grosse masse d’invendus.
A cette époque, en dépit de ces ventes infimes, Khalil Hachimi était le seul journaliste marocain à circuler dans une puissante voiture Jaguar de couleur rouge. Et une blague circulait à Casablanca : Aujourd’hui le Maroc imprimait 30 000 exemplaires et avait un retour d’invendus de 40 000 exemplaires ….
Devenu le porte-parole d’une presse jaune à la marocaine, il supplanta son mentor Selhami dans la diffamation, la haine et le racisme. Tous ceux qui déplaisaient au pouvoir se transformaient automatiquement en une cible pour Hachimi. Il faut se rappeler les qualificatifs qu’il déversa sur ceux qu’il considérait contraires au régime. Marocains et étrangers. Un jour il insultait le journaliste Abdallah Ben Ali pour être mauritanien, un autre il prenait à partie le directeur de l’Agence France presse (AFP) pour être d’origine algérienne, une autre fois c’est le correspondant d’El Pais qui était traité d’ « espion« , etc…
Bien entendu Khalil Hachimi Idrissi n’a pas que des défauts. Il faut lui reconnaître deux qualités. La première, c’est qu’il a une belle plume. La deuxième, c’est qu’il l reconnaît sincèrement et publiquement qu’il est ce qu’il est, à savoir un cruel accessoire du régime.
C’est donc ce représentant d’un journalisme d’escarmouches et d’outrages que le roi du Maroc a choisi de placer à la tête de l’agence officielle de presse MAP. Le chef de l’Etat ne l’a pas fait eu égard aux succès éditoriaux de Hachimi. Il n’y en a jamais eu. Aujourd’hui le Maroc est sous perfusion financière depuis
sa naissance, il y a onze ans, et en 2008 Hachimi a été pris la main dans le sac par l’OJD, l’office de contrôle de la diffusion des journaux, en train de falsifier les chiffres de vente de son journal.
Placer dans le Maroc d’aujourd’hui, le directeur d’Aujourd’hui le Maroc, c’est préparer la citadelle médiatique du Makhzen qu’est la MAP à de brutales offensives contre ceux qui mettront en doute l’ordre établi.
Les symboles ont un sens. Il ne manque plus maintenant que Mohamed Selhami, l’ancien gourou de Hachimi, celui qui lui a enseigné ce journalisme d’affronts et de morsures, soit nommé ministre de la communication. La boucle serait bouclée.
Thami Afailal
Demain Online, 28/06/2011
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