L’amertume d’un jeune Marocain

Mouvementées étaient les précédentes journées pour nos frères tunisiens : une révolte de tout un peuple qui a fini par faire vaciller le trône du despote Ben Ali après un joug de 23 années d’oppression et de censure où certes le pays reflétait l’image de la meilleure croissance économique de la région, mais où les droits d’expression et de pratiques religieuses étaient en constante régression.
Je vous épargnerai les détails de la révolte de Sidi Bouzid tellement on a appris ses détails ces derniers jours.
 
Il a suffit qu’un jeune désespéré s’immole par le feu pour que ses compatriotes sortent en masse réclamer la liberté dont ils ont été privés pendant deux longues décennies.
 
Six mois auparavant, des chômeurs ont eu recours au même acte d’Elbouazizi devant l’édifice du parlement, mais en vain : ils étaient au Maroc, au Maroc où la façade du parlement est devenue un endroit touristique où vous rencontrez quasiment tous les jours des sit-in et des pancartes levées aux quelles on n’accorde plus aucune importance.
 
Les Marocains se sont révoltés maintes fois : Sidi Ifni, Sefrou, ElHoceima, Casablanca, pendant des périodes différentes ces villes ont connu une désobéissance civile qui a été opprimée par le Makhzen. Mais cela n’a pas eu d’envergure sur l’échelle nationale.

Pourquoi donc le Maroc n’a-t-il pas eu la chance de la Tunisie ou plutôt son courage à toute épreuve ?
 
Parce qu’au Maroc d’aujourd’hui, la flamme du patriotisme a longtemps quitté le cœur de moult citoyens qui ne se reconnaissent plus à la patrie. Tandis qu’en Tunisie le peuple s’est uni autour de la patrie sans aucune référence idéologique ou religieuse avec une spontanéité et un courage miraculeux.
 
Parce qu’au Maroc d’aujourd’hui, dès que vous commencez à dire la vérité unanimement connue par tous, on vous dit taisez-vous « rah ghadi icheddouk, rah ghadi iteyyrouk « , on ne reconnait même plus ses propres droits grâce aux bienfaits de l’ignorance que l’on apprécie tant.
Parce qu’au Maroc d’aujourd’hui, le pain, l’huile et le thé sont plus importants que la liberté, les droits de l’Homme, l’égalité, la justice et l’équité.
Parce qu’au Maroc d’aujourd’hui, des slogans tel « 7mar et bikhir » sont devenus l’effigie de toute une génération.
 
Parce qu’au Maroc d’aujourd’hui, on s’est tellement habitué à la langue de bois nous disant que cette époque est largement mieux que celle qui la précédait. Certes c’est vrai sur une multitude de points, n’empêche que si les jeunes de ces jours passés avaient adopté le même discours et le même laxisme on ne serait pas ce qu’on est aujourd’hui. Les choses peuvent être largement mieux que ce qu’elles sont aujourd’hui.
 
Parce qu’au Maroc d’aujourd’hui, corruption et clientélisme sont devenus des concepts que l’on admire et que l’on ne recherche plus à éliminer.
 
Parce qu’au Maroc d’aujourd’hui, il y a plus d’analphabètes que d’instruits, et même ceux qui prétendent être éduqués ne savent faire la différence entre une démocratie et une pièce théâtrale où l’on se moque d’eux.
 
Parce qu’au Maroc d’aujourd’hui, on a une constitution désuète de cinquante ans qui puise dans les fondements du féodalisme et de l’oligarchie médiévale peinte avec les couleurs de la modernité à deux sous et adulée par des millions d’aveugles.
 
Parce qu’au Maroc d’aujourd’hui, …
Parce qu’au Maroc d’aujourd’hui ,…
Parce qu’au Maroc d’aujourd’hui, …
 
Excusez-moi, camarades tunisiens de vous envier de nous avoir donné une des plus belles leçons de nos vies.
 
Que votre futur soit illuminé par la lueur d’Elbouazizi et guidé par les âmes des héros qui ont donné leurs âmes à leur patrie.
 
Quant à nous, que la peur quitte nos cœurs, l’ignorance nos cerveaux et la négligence nos âmes.
 
Par Mahdi Zahraoui, 22/1/2011

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