Antoine Basbous est le président de l’Observatoire des pays arabes à Paris qu’il a lui-même fondé. Les deux Antoine, Basbous et Sfeïr, constituent les voix du Moyen-Orient et du Monde arabe et musulman en France, avec une pointe de réputation d’être un proaméricain pour l’un-Sfeïr- et profrançais pour l’autre.
Politologue, Antoine Basbous est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages d’actualité : «Guerres secrètes au Liban», «Les Arabes entre modernité et repli», «L’Islamisme, une révolution avortée ?», «L’Arabie Saoudite en question» … Riche d’un travail de réflexion sur le Monde arabe, Basbous est un avis de poids pour les gouvernements et les tribunaux européens et nord-américains. Il participe régulièrement aux débats sur les crises qui secouent les mondes arabe et islamique, sur le terrorisme et sur les relations de l’Islam et de l’Occident, lit-on sur le site de l’OMA –Observatoire du Monde arabe. A ce titre, nous avons eu l’échange qui suit avec lui :
Le Jeune Indépendant : L’actualité est bien évidemment les pourparlers israélo-palestiniens. Les Etats-Unis y sont étroitement impliqués Comment analysez-vous cet événement ? Quel pronostic en faites-vous ?
Antoine Basbous : Ces pourparlers s’engagent dans le pire moment des Palestiniens : ils sont divisés, le président palestinien n’a plus de mandat, les pays arabes laissent tomber la Palestine parce qu’ils sont épuisés par ce conflit et ont d’autres préoccupations. L’arbitre américain, qui avait bien commencé sa politique d’équilibrage – discours du Caire –, se retrouve dépendant du lobby israélien aux Etats-Unis à deux mois des élections de
mi-mandat.
Il a perdu le bras de fer sur les colonies et se retrouve dans la position tenue par les ex-dirigeants des Américains qui privilégiaient les Israéliens aux Palestiniens. Pour la stature d’Obama, tout sera fait afin que les négociations puissent durer jusqu’au mois de novembre. Mahmoud Abbas devra avaler des couleuvres pour sauvegarder les chances des démocrates à Washington. Justement parce qu’il manque de légitimité. Ses amis et alliés arabes – l’Arabie Saoudite, l’Egypte et la Jordanie – lui proposent d’aider Obama.
Ces pourparlers auront-ils un impact sur la crise iranienne qui, si on comprend bien, constituerait le stress de toute la région ?
Le problème de l’Iran est un sujet capital pour les Iraniens, les pays voisins du golfe et la communauté internationale. Tout le monde est préoccupé par les plans militaires iraniens. Les pourparlers israélo-palestiniens peuvent effectivement calmer les Arabes, en caressant une paix pour se consacrer à l’Iran. Il faut savoir aussi que les populations iraniennes contestataires sont majoritaires, mais le régime s’impose et dure. S’il est vrai que les populations souffrent de sanctions, que l’Iran ressemble à l’ex-Union soviétique avant la chute, il est aussi vrai que l’Iran a amassé beaucoup de cartes pour la nuisance. L’alliance du croissant chiite au Machrek est une réalité, grâce à la continuité territoriale entre la Caspienne et la Méditerranée, grâce essentiellement à l’effondrement du régime de Saddam et son remplacement par un régime chiite à Bagdad. L’Iran dissimule des pans entiers de ses programmes nucléaires et balistiques pour tenter de s’imposer comme le partenaire exclusif dans la région en passant par le « nouveau Yalta » avec Washington au détriment des Arabes.
Pour un terrorisme annoncé, les Etats-Unis et l’Europe se disputent, à présent, l’Afrique au nom de la guerre qui s’annonce contre l’Aqmi…
Je ne partage pas cette lecture du phénomène terroriste en Afrique.
L’Aqmi est la nouvelle appellation du GSPC lequel est héritier du GIA. L’Aqmi cherchait une légitimité que le GSPC avait perdue en s’accrochant à une mouvance internationale qui valoriserait son «combat». Il avait pour vocation de rayonner à l’échelle internationale du Maghreb et du Sahel à partir de ses premières bases implantées dans le nord de l’Algérie. Aujourd’hui, sa branche sahélienne profite de la présence d’Etats faibles et défaillants, de la complicité des Palais pour créer des sanctuaires à partir du Nord-Mali dont ils ont fait un carrefour de trafic en tout genre : armes, drogue, cigarettes… A la complicité de certains gouvernements sahéliens s’ajoute la suspicion d’intérêts personnels. Le président de l’un de ces pays n’a-t-il pas touché une partie de la rançon versée par les Allemands pour libérer un groupe d’otages européens capturés par le parrain de ces hommes avant d’être lui-même capturé ?
L’Algérie adopte une position ferme contre le paiement des rançons. Qu’en pensez-vous?
C’est une position juste. Les pays européens ont été coupables d’avoir choisi la facilité, en rachetant au prix fort la liberté de leurs otages, ce qui a doté l’Aqmi de capacités financières très importantes pour poursuivre à grande échelle son action terroriste. Je pense qu’il faut combattre le terrorisme et le priver de ses moyens financiers. Tout comme il faut créer une réelle coordination entre les pays victimes de ces phénomènes sans oublier d’éradiquer la pauvreté et la «hogra» qui participent à creuser le lit du terrorisme. Aujourd’hui, les Etats qui ont versé des rançons s’en mordent les doigts et s’aperçoivent qu’ils n’ont fait que renforcer les moyens d’action de cette organisation.
Entretien réalisé à Paris par Samir Méhalla
Le Jeune Indépendant, 21/9/2010
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